Qui va remettre nos cadeaux à Jean ?


Telle était l'angoissante question qui clôturait notre A.G. hier soir.

Chacun de nous aurait bien aimé avoir cet honneur, mais à quel titre ? Le plus vieux ? le plus jeune ? le plus assidu ? celle qui chante le plus haut ? celui qui émet le son le plus grave ? qui a vendu le plus de billets ? collé le plus d'affiches ? fait le moins de fausses notes ? bref, celui qui le plus, celui qui le moins : le champ des possibles était vaste ! Et puis quelqu'un a demandé : " Qui est le plus ancien dans cette chorale ? ". Aussitôt Nicole a bondi de sa chaise : " C'est moi, c'est moi ! ".

Claude et moi nous sommes regardées, puis avec un sourire légèrement condescendant, lui avons asséné : " Non, c'est nous ! nous qui depuis 1981 sommes embarquées dans le navire Musichoral ; 27 croisières au compteur, certaines magnifiques, inoubliables ; d'autres un peu moins réussies ".

Jean, lorsque tu as repris la barre, en 1996, nous venions d'échapper de peu à un naufrage, la faute à un écueil nommé F. Poulenc. Pendant quelques années, nous avons navigué avec toi sur des océans plutôt fréquentés, ayant nom Mozart, Haydn, Gounod, Schubert : la routine, quoi ! Mais tout de même, pour faire l'original, tu nous a prévenus : les notes, le solfège, je m'en moque ; ce que je veux, c'est de la musique. Bien sûr, tu nous expliquais ce qu'il fallait faire pour ça, et nous, nous étions bien fiers que tu nous demandes plus, que tu sembles penser que cela était dans nos cordes ... vocales.

Et puis, en 2000, changement de cap ; tu as décidé de nous faire voyager sur les mers baroques - des mers mal connues pour la plupart d'entre nous ; mais toi tu étais dans ton élément, tu voguais sur ta passion. C'était le commencement d'une grande aventure.

Quelques membres de l'équipage ont trouvé cette navigation pleine d'embûches, trop compliquée et ont préféré quitter le navire.
    Avec toi, nous avons rendu visite à Monteverdi, Scarlatti, Victoria et d'autres moins en vue, qui ont exigé de nous délicatesse et raffinement. En France, Marc Antoine Charpentier nous a reçu en grande pompe et fait cadeau, par ton truchement, d'une joyeuse pastorale bucolique et gauloise à souhait. Nous avons eu du mal à le quitter, mais en Allemagne nous attendait un austère et grandiose Buxtehude. Il nous a fait souffrir, celui-là, mais finalement, il a été assez content de nous.

Dernière escale de notre périple sur les mers baroques, l'Angleterre ! En digne représentant d'une nation experte dans l'art de la diplomatie parallèle et souterraine, Purcell nous réservait les péripéties cocasses et embrouillées d'un empereur improbable.

Au fil de ces voyages, tu n'as eu peur de rien, tu as osé l'impossible, tu as bravé nos doutes, nos peurs, nos insuffisances. Il arrivait que l'un d'entre nous laisse échapper : " Il est inconscient, nous allons à la catastrophe !". Et le miracle s'est toujours produit.

Chacun de nous a pleinement conscience que cet apparent miracle est le fruit de ton travail monumental, de ta patience illimitée, de ton courage physique, de ta force mentale hors norme.

Nous avons haï nos limitations vocales, musicales, qui nous ont empêchés d'atteindre la qualité que tu souhaitais, de te payer en retour de quelque sorte.

Mais nous avons compris que même avec ces limitations, nous pouvions produire et faire partager de la beauté et de l'émotion.

Bon vent, Jean : nous t'aimons !

Coline - le 27 juin 2008